REPETITA

Repetita est le blog de Jean-Philippe Perrot, réalisateur.

25.6.06

Chronique : Ce livre est formidable !


Photographe : Florindorilli.

Maintenant, je me méfie de tous ceux qui à la fin d’un dîner ou d’une réunion
amicale ou de famille me tendent un bouquin en me disant  sur le ton
de la connivence et presque les larmes aux yeux : « Tu sais, ce livre
est formidable, c’est un véritable choc, il à transformé ma vie ;
lis-le et tu verras ! ». J’aurais même une certaine tendance
aujourd’hui à tout faire pour oublier le plus vite possible non
seulement le titre de l’ouvrage mais surtout le nom de l’auteur.
Celui-là, il est dangereux, je le sens, il m’aura pas, merci mais j’ai
déjà donné.

De plus, j’évite absolument la personne qui me donne un tel conseil
pendant au moins six mois. C’est une règle. Je ne sais pas : je
l’évite, je change de trottoir ou de bar,  je suis en voyage au
Kirghizstan, à l’autre bout de la planète, en Papouasie extrême s’il
le faut, et j’ai perdu mon portable et en plus je suis contagieux
rien qu’avec la voix. Il faut toujours se méfier des amis, dès fois
ils veulent votre bien et en une fraction de seconde ils vous ruinent
la vie.

Soyons honnêtes : la passion soudaine ou l’admiration absolue pour
certains écrivains, poètes ou romanciers, gens de plumes ou de
claviers Azerty, a souvent des conséquences fâcheuses dans nos vies,
voir tout à fait redoutables. On devrait se méfier plus souvent, en
parler entre nous tranquillement tant qu’il est encore temps. Prises à
temps ce ne sont que des démangeaisons désagréables mais passagères
qui se soignent, trop tard elles s’installent et deviennent
irrémédiablement purulentes. On se gratte sans cesse, jusqu’au sang.
L’écrivain alors nous hante continuellement, on trouve chez lui une
vision claire et sensible du monde qui nous correspond, nous rend
l’existence plus intelligible et rassurante, nous donne parfois un peu
d’espoir. C’est peut-être un leurre, mais nous sommes persuadé qu’il
est comme nous mais en avance sur nous, en ce sens qu’il a déjà énoncé
ce que nous pressentions intimement. Tout texte est un miroir et son
auteur notre propre double. Enfin, quelque chose comme cela.

L’obsession pour un écrivain - je ne sais pas André Breton, Victor
Hugo, Dostoïevski, ou même cas éventuel Michel Houellebec!- nous mène
parfois sur les voies d’une folie douce qui nous soustrait du monde,
d’une sorte de religiosité mal placée et dangereuse.

Il y a des signes terribles qui malheureusement ne trompent personne :
tout d’abord, une envie de pèlerinages multiples, qui gâchent pendant
des mois les vacances et tous les week-ends en famille, ou avec son
chien, et une sorte de diarrhée d’achats compulsifs et obsessionnels
qualifiés par mon psy de « collectionnite aigue ». C’est une catégorie
de troubles psycho-pathologiques, une maladie virale dont la durée
dépend de l’intensité de la fièvre au départ et du choc de la
rencontre. Un truc grave quoi.

Je me souviens très bien par exemple d’un vieux célibataire fou
d’André Breton qui ne cessait d’arpenter le pavé parisien sur les
traces de Nadja. Tous les jours pendant des années il fit le même
itinéraire, le livre à la main, reconstituant scrupuleusement les
parcours géographiques et imaginaires des rencontres amoureuses qui
ponctuent cet espèce de roman. Il savait par cœur chaque ligne du
livre, comme chaque angle de square, chaque façade d’immeuble. Une
fois, il s’est même battu avec des ouvriers du bâtiment parce qu’ils
retiraient d’une rue des lampadaires d’époque. Et puis un jour il
disparu, ou devint clochard, on ne sait pas. Alors, il reste quelque
chose peut-être de Nadja, mais aujourd’hui il ne reste rien de lui.

Et puis cette femme encore, qui s’est ruiné à séjourner des mois durant
au Grand Hôtel de Cabourg pour relire sans fin « la recherche » et
essayer sur les lieux même que décrit Marcel Proust de « retrouver et
sentir ce qui demeure encore ».

Et puis aussi, en ces périodes troublées d’obsession littéraire, nos
appartements se transforment progressivement en mausolées, avec ses
icônes aux murs - portraits et photos d’époques jusque dans les
toilettes, parce que même là on ne peut pas penser à autre chose - et
ses autels fait d’accumulations de livres ou de tout autres objets en
relations plus ou moins directes avec notre écrivain.

Comme tout le monde le sait, les passions sont destructrices, et j’ai
connu des types à priori normaux que leurs femmes ont quitté parce que
Jean Genet ou Paul Verlaine prenaient trop de temps au lit.
Remarquez, elles n’avaient peut-être pas totalement tort de se barrer,
elles !

À mon époque adolescente et Rimbaldienne, j’ai par exemple croisé des
passionnés qui possédaient plus de 600 livres relatifs à Rimbaud, cela
couvrait les murs parisiens de leur deux pièces cuisine, certains des
livres étaient en Russe ou en Japonais et ils ne comprenaient ni l’une
ni l’autre des deux langues. La plupart des livres étaient d’ailleurs
sans véritable intérêt ou à peine anecdotiques. Mais comme dans toute
collection, il y avait également des perles, des curiosités et même
parfois de véritables trésors. Franchement, avoir dans les mains une
lettre autographe de Rimbaud ou un seul des exemplaires de l’édition
original de la « Saison» c’est peut-être fétichiste, un peu plus que
le Nirvana ou le Bliss , c’est une émotion forte à chialer comme un
gosse.

D’autres monomaniaques m’ont présenté comme des talismans des
morceaux crasseux de pierres qu’ils avaient arrachés aux murs en ruine
de la ferme de Roche. Cette propriété familiale des Cuif-Rimbaud où le
poète passa les étés ardennais de son enfance, où il écrivit aussi sa
« Saison en Enfer » planqué dans le grenier au milieu des fientes et
des pigeons.

Je voulais vous dire : depuis quelques semaines mon chien à un
comportement que je qualifierai d’anormal. Il ne cesse de me regarder
bizarrement, il se couche à mes pieds, reste là à me fixer pendant de
longs moments avec l’impression de ne pas tout à fait me reconnaître,
avec un air triste ( c’est un labrador) que cela en devient presque
gênant. De temps en temps il émet un couinement intempestif, comme un
râle, puis redevient silencieux et immobile des heures entières. Je n’ose plus
bouger.

Nous vivons tous les deux dans un appartement de 37 mêtres carrés, mon
chien et moi. De ce fait, il y règne comme une forme sourde
d’intranquilité maintenant. Cela à commencé lorsque je lui ai annoncé
que je partais à Durban en vacances, c’est en Afrique du Sud. Déjà, il
ne supportait plus mes allers et retours entre Paris et Lisbonne. Une
fois j’ai pourtant essayé de l’emmener dans la capitale portugaise, il
n’a pas supporté nos dix-huit allez et retour en tram sur la ligne 28
entre la Baixa et Campo Ourique. Il a pissé sur la statue de Fernando à la
terrasse du Bar A Brasileira, et a vomi dans la salle du restaurant
Martinho da Arcada. Je ne le sors plus maintenant, alors il cache mes
petites lunettes rondes dans des recoins improbables et chie souvent sur les livres de Fernando. J’ai beau les planquer il y en a un peu partout et il finit toujours par les trouver. Il les tire de leurs cachettes comme il détererait un os, avec gourmandise, la queue comme un ventilateur. Il les place en évidence puis s'accroupit pour déféquer dessus. Il a comme cela détruit mon exemplaire de la pléîade avec ses poèmes que j'aime tant. Et puis, il aboie à la mort chaque fois que je dresse la table pour six et lui dit que j’attends à dîner d’autres moi-mêmes qui ne viendront pas mais seront là. Et c’est ainsi tous les soirs.

Je ne suis plus personne et je pars sur les traces de Pessoa.



Fernando Pessoa dans le quartier du Rossio à Lisbonne.